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bienheureux père et pasteur, et qui déshonores son pieux clergé lui-même, comme si tout ce monde représentait vraiment la débauche !

— Ah ! tu es hérétique ! Engeance d’Arius ! Maudite bouche de l’affreux Apollinaire !

L’ermite qui se désolait d’avoir péché se jeta sur son compagnon et, de toutes ses forces, se mit à le battre. Puis, en silence, tous deux regagnèrent leurs cavernes. L’un se désespéra toute la nuit, faisant retentir le désert de cris et de gémissements, se jetant contre le sol et le frappant de la tête ; tandis que l’autre, tranquille et joyeux, chantait des psaumes.

Au matin, l’idée suivante vint à l’esprit de l’ermite qui se repentait : – « Puisque, après plusieurs années, mes bonnes actions m’avaient procuré la grâce du Saint-Esprit, laquelle commençait à se manifester par des apparitions et par des miracles ; et puisque, après cela, je me suis livré aux turpitudes de la chair, me voilà donc coupable du péché contre l’Esprit Saint, péché qui, selon la parole divine, n’est pardonné ni dans la vie présente ni dans la vie future. J’ai jeté la perle de la pureté céleste aux pourceaux, c’est-à-dire aux démons. Ils l’ont foulée aux pieds et maintenant, s’étant retournés contre moi, ils me déchirent. Nul moyen d’en douter. Or, puisque, de toute façon, je suis perdu, que ferai-je ici, dans le désert ? » Et il repartit pour Alexandrie, où il s’abandonna à l’existence dissolue. Quand il manqua d’argent, il assassina et dépouilla un riche marchand, de complicité avec d’autres débauchés. Le crime ayant été découvert, le malheureux fut déféré à la justice de l’endroit et condamné