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ils s’appelaient au moyen du chant d’un psaume. Ils vécurent ainsi assez longtemps. Ils acquirent une renommée qui se répandit à travers l’Égypte et même parmi les pays voisins. Or, une fois, le diable réussit à faire naître dans leurs deux âmes, et d’un seul coup, la même intention. Eux, sans s’être dit un mot, emportèrent les objets qu’ils avaient fabriqués : paniers et nattes, faits de feuillages et de rameaux de palmiers. Ensemble, ils se rendirent à Alexandrie. Là, ils vendirent le fruit de leur travail, puis, pendant trois jours et trois nuits, se livrèrent à la dissipation, en compagnie d’ivrognes et de prostituées. Après quoi, ils reprirent la route de leur désert.

L’un des deux se désolait et se lamentait : – Je suis perdu sans espoir. Il n’y a point de pardon pour une telle frénésie et pour une pareille saleté. Perdus, tous mes jeûnes, toutes mes veilles et toutes mes prières. D’un seul coup, j’ai tout détruit sans retour !

L’autre, marchant à côté de lui, chantait des psaumes, d’une voix joyeuse. Alors, le désespéré lui dit :

— Voyons, est-ce que tu es devenu fou ?

— Pourquoi donc ?

— Mais, comment n’es-tu pas désolé ?

— Et de quoi me désolerais-je ?

— Comment ? Et Alexandrie ?

— Que dire d’Alexandrie, sinon : gloire au Très-Haut, qui protège cette cité célèbre et pieuse !

— Mais nous, que sommes-nous donc allés faire à Alexandrie ?

— On le sait bien ce que nous avons fait : nous avons vendu nos corbeilles, nous avons vénéré saint