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imposé le suivant : lire toutes les lettres qu’il recevait, même celles que lui adressaient des personnes inconnues, et, de même, tous les livres et toutes les brochures dont on l’invitait à rendre compte ; répondre à chaque lettre et rédiger tous les comptes rendus demandés ; se conformer soigneusement, en général, à toutes les sollicitations qui lui étaient faites et accomplir toutes les démarches qu’on attendait de lui. De cette façon, il passait toute sa journée à se fatiguer pour les affaires des autres et n’avait que la nuit pour s’occuper des siennes. En outre, toutes les invitations, il les acceptait ; et il recevait tous les visiteurs, qui encombraient son domicile. Quand mon ami était jeune et pouvait facilement supporter les boissons fortes, cette vie de galérien, qu’il s’était faite par politesse, l’accablait sans toutefois l’enfoncer dans la tragédie : le vin lui procurait de la gaîté et le sauvait du désespoir. Il lui était arrivé de vouloir se pendre et déjà il s’était saisi d’une corde, mais il l’avait lâchée pour la bouteille ; et une fois que celle-ci l’avait enivré, il tirait sa chaîne avec un nouveau courage. Mais il était d’un tempérament délicat ; aussi, lorsqu’il eut quarante-cinq ans, nécessité lui fut de renoncer aux boissons fortes. Avec le régime de la sobriété, sa vie de galérien lui parut un enfer ; et maintenant on m’annonce qu’il s’est suicidé.

LA DAME. – Allons donc ! Pour unique motif de politesse ? Tout simplement, il était fou.

M. Z… – Bien sûr, il avait perdu l’équilibre de son âme, mais je pense que le mot « simplement » est le moins exact.