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votre théorie, défigurer et mutiler le texte des quatre évangiles : ce qu’il contient d’essentiel à notre discussion demeure incontestable. C’est que le Christ a souffert la cruelle persécution et la mort, en raison de la haine que Lui portaient Ses ennemis. Qu’Il soit resté moralement au-dessus de tout cela, qu’Il n’ait pas voulu résister et qu’Il leur ait pardonné, on le comprend de votre point de vue comme du mien. Mais pourquoi donc, pardonnant à Ses ennemis, n’a-t-Il pas (pour employer votre langage) délivré leurs âmes des affreuses ténèbres dans lesquelles elles se trouvaient ? Pourquoi n’a-t-Il pas vaincu leur méchanceté par la force de Sa douceur ? Pourquoi n’a-t-Il pas éveillé le bien qui dormait en eux, éclairé et régénéré leur esprit ? Bref, pourquoi n’a-t-Il pas agi sur Judas, sur Hérode, sur les grands prêtres juifs comme Il a agi sur le seul bon larron ? Donc, de nouveau : ou bien Il ne le pouvait pas, ou bien Il ne le voulait pas. Dans les deux cas, on doit, suivant vous, conclure qu’Il n’était pas suffisamment pénétré du véritable esprit évangélique. Puisque, si je ne me trompe, nous parlons de l’Évangile du Christ et non de quelque autre, vous voilà conduit à dire que le Christ n’était pas assez pénétré du véritable esprit chrétien ; et là-dessus je vous fais mes compliments.

LE PRINCE. – Oh ! je n’essaierai pas de rivaliser avec vous en fait d’escrime verbale, pas plus que je ne m’escrimerais avec le Général à propos des épées chrétiennes… (À cet instant, le Prince s’est levé de son siège et a, évidemment, voulu dire quelque chose