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tout cela uniquement afin qu’en aucune façon on n’oppose un doigt au mal ! Or, j’estime que le fait intéressant ce n’est pas de savoir si, en tout homme, il y a un principe de bien et un principe de mal, mais lequel des deux doit prévaloir. Peu importe qu’avec un jus quelconque de la vigne on puisse faire du vin et du vinaigre ; l’essentiel est de savoir si cette bouteille contient du vin ou du vinaigre. Si c’est du vinaigre et que je me mette à en boire des verres et à en régaler quelqu’un, alors, par cette sagesse, je ne rendrai pas d’autre service que d’abîmer l’estomac. Tous les hommes sont frères. Très bien. J’en suis enchanté. Et ensuite ? Les frères sont différents entre eux. N’ai-je pas besoin de savoir lequel de mes frères est Caïn ou Abel ? Et si, sous mes yeux, mon frère Caïn fustige cruellement mon frère Abel et que, parce que je ne suis pas indifférent à l’égard de mes frères, je frappe Caïn pour le corriger de son insolence, soudain vous me reprochez de méconnaître la fraternité. Je me rappelle très bien pourquoi je suis intervenu, et si je ne me l’étais pas rappelé, alors, tranquillement, j’aurais pu m’abstenir.

LA DAME. – N’en résulte-t-il pas ce dilemme : ou s’abstenir, ou frapper ?

LE GÉNÉRAL. – En pareil cas, on voit rarement un troisième parti à prendre. Vous, vous avez proposé d’adresser à Dieu une prière afin qu’il intervienne directement, c’est-à-dire que, d’une manière instantanée, son bras droit ramène à la raison n’importe quel fils du diable ; puis, vous-même, je crois, vous avez répudié ce moyen. Or, je dis que, dans tous les