Page:Soloviev - Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion, trad Tavernier, 1916.djvu/148

Cette page n’a pas encore été corrigée

et de toute mon âme, je regrette de n’être pas mort moi-même après avoir commandé la dernière salve. Je suis absolument certain que si j’étais mort en cet instant, j’aurais été, tout droit, conduit devant le Tout-Puissant avec mes trente-sept cosaques tués et que nous posséderions notre place dans le paradis, à celle du bon larron de l’Évangile. Ce n’est pas pour rien, n’est-ce pas, qu’il figure dans l’Évangile.

LE PRINCE. – Soit. Mais, certainement, vous ne trouverez pas dans l’Évangile ceci : qu’au bon larron peuvent seuls être assimilés les gens de notre pays et de notre croyance et non pas aussi les gens d’autre nationalité ou d’autre religion.

LE GÉNÉRAL. – Pourquoi me calomniez-vous comme si j’étais mort ? Dans cette affaire, quand est-ce que j’ai distingué la nationalité et la religion ? Est-ce que les Arméniens sont mes compatriotes et mes coreligionnaires ? Et est-ce que j’avais demandé quelle était la foi ou la race de cette engeance diabolique que je dispersais par la mitraille ?

LE PRINCE. – Mais vous ne parvenez pas à vous rappeler que cette engeance, si diabolique fût-elle, était composée de créatures humaines ; et qu’en tout homme il y a le bien et le mal ; et que n’importe quels voleur, cosaque ou bachi-bouzouk, peut être reconnu pour le bon larron de l’Évangile.

LE GÉNÉRAL. – Mettez-vous donc d’accord avec vous-même. Tantôt vous disiez qu’un homme méchant est une bête sauvage, irresponsable ; et, maintenant, le bachi-bouzouk qui grille les petits enfants petit être considéré comme le bon larron de l’Évangile. Et