Page:Soloviev - Trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion, trad Tavernier, 1916.djvu/146

Cette page n’a pas encore été corrigée

moment de silence). – Bien ; mais quand vous enterriez les vôtres avec cette sereine disposition d’esprit, est-ce que, tout de même, vous n’avez absolument pas pensé aux ennemis que vous aviez tués en si grand nombre ?

LE GÉNÉRAL. – Grâce à Dieu, nous pûmes nous éloigner avant que cette charogne nous obligeât à nous souvenir d’elle.

LA DAME. – Est-ce possible ? Voilà que vous gâtez toute l’impression.

LE GÉNÉRAL (au Prince). – En fait, qu’est-ce que vous auriez voulu de moi ? Que j’accorde la sépulture chrétienne à ces chacals qui n’étaient ni chrétiens, ni musulmans, mais le diable sait quoi ? Et si, perdant la tête, j’avais ordonné de les rassembler avec les cosaques dans la même cérémonie funèbre, est-ce que, voyons, vous ne m’accuseriez pas d’intolérance religieuse ? Comment donc ? Ces charmantes victimes révéraient le diable pendant leur vie, et tout à coup, lorsqu’elles sont mortes, on leur infligerait la cérémonie superstitieuse, grossière, d’un faux christianisme ! Non. Là, c’est d’autre chose que j’avais à prendre soin. J’appelai les commandants et les capitaines de sotnias et je leur donnai l’ordre de faire savoir que personne ne devait s’approcher à trois sagènes de la diabolique charogne. Car je voyais bien que depuis assez longtemps les doigts de mes cosaques leur démangeaient de tâter les poches des morts, suivant l’habitude. Je savais quelle peste ils nous auraient rapportée. Nous étions tous perdus.

LE PRINCE. – Est-ce que je vous ai bien compris ?