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morts. » Je savais que je lui causerais ainsi une satisfaction précieuse. « J’essaierai, bien volontiers, Excellence », répondit le déluré gaillard, la figure illuminée.

De la même façon nous trouvâmes nos chantres. Ils chantèrent d’une manière correcte. Seule fit défaut la rémission sacerdotale des péchés ; mais elle n’était pas nécessaire. D’avance, les péchés étaient remis par la parole du Christ sur les hommes qui donnent leur âme pour leur prochain. Voilà comment je comprends en pareil cas le service funèbre. Toute la journée avait été nuageuse, une journée d’automne ; mais avant le coucher du soleil, les nuages s’étaient dispersés, tandis que la gorge, en bas, devenait obscure. Maintenant, sur le ciel, les nuages prenaient des couleurs différentes, de même que si les troupes de Dieu s’étaient rassemblées. Une fête de lumière remplissait mon âme. Une tranquillité et une légèreté inconcevables, comme si toute l’impureté humaine avait été lavée et comme si la terre était délivrée de tous ses fardeaux. Vraiment, je me croyais en paradis. Je sentais la présence de Dieu et de lui seul. Et lorsque Odartchenko se mit à désigner par leurs noms les soldats défunts qui, pour la foi, pour le tsar et pour la patrie, venaient de sacrifier leur vie sur le champ de bataille, je sentis que cela n’était point verbosité officielle ni simple question de titre, comme vous jugiez bon de dire tout à l’heure, mais que l’armée est vraiment le service du Christ et que la guerre, telle qu’elle était, est et sera ainsi jusqu’à la fin du monde, une chose grande, honorable et sainte…

LE PRINCE (après un