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enflammées jetées, dans une fourmilière. Ils furent balayés dans toutes les directions, les uns sur les autres. Alors, au flanc gauche, les cosaques et les dragons se lancèrent contre eux et se mirent à les hacher comme des choux. Les uns, ayant échappé à la mitraille, essayaient de fuir en galopant et rencontraient nos sabreurs. D’autres jetaient leurs armes, sautaient de cheval et demandaient l’aman. Je m’abstins d’intervenir. Eux-mêmes comprirent qu’il ne s’agissait plus d’aman. Tous périrent sous les coups des dragons et des cosaques.

Eh bien ! si ces démons stupides, au lieu de reculer après les deux premières décharges, lorsqu’ils étaient à vingt ou trente sagènes de nous, s’étaient jetés sur nos canons, ils nous auraient paralysés ; et la troisième décharge n’aurait pu avoir lieu.

Dieu était avec nous ! La besogne était finie. Mon âme fêtait le dimanche de Pâques. Ayant rassemblé nos morts – trente-sept hommes avaient succombé – et leur ayant fermé les yeux, nous les plaçâmes en plusieurs rangées sur un terrain uni. Il y avait parmi nous, dans la troisième sotnia de cosaques, un vieux sous-officier, Odartchenko, très instruit et doué de facultés étonnantes. Les Anglais auraient fait de lui un premier ministre. Maintenant, il subit l’exil en Sibérie pour avoir fait de l’opposition à l’autorité, lors de la fermeture d’un monastère de vieux-croyants et de la destruction de la tombe où reposait un moine vénéré. J’apostrophai Odartchenko : « En campagne, lui dis-je, c’est à nous de nous débrouiller dans les alléluias. Tu nous serviras de pope. Officie pour nos