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village incendié : à la lettre, pas une maison, pas une cloison debout. Tout à coup, d’un puits desséché grimpe une espèce d’épouvantail… Boueux et déchiré, il est tombé la face contre terre et se met à raconter quelque chose en arménien. Après l’avoir relevé, nous l’interrogeons. C’est un petit Arménien intelligent, habitant un autre village. Il venait d’arriver là pour son commerce, lorsque les habitants se préparèrent à fuir. Ceux-ci se mettaient juste en mouvement quand apparurent les bachi-bouzouks, une masse, – quarante mille, disait l’homme. Naturellement, il ne les avait pas comptés. Il se cacha dans le puits. Il entendit des gémissements et sut ainsi ce qui se passait. Ensuite, il se rendit compte que les bachi-bouzouks prenaient une autre direction. Il songea que les bandits s’en étaient allés vers son village pour recommencer la même chose. Et il hurlait, en se déchirant les mains.

En moi s’établit nue clarté soudaine. Il me sembla que mon cœur se fondait. Réellement, de nouveau, le monde de Dieu me sourit. Je demandai à l’Arménien depuis combien de temps les démons s’étaient éloignés. Depuis trois heures, selon son calcul.

— Et jusqu’à votre village, la route est-elle longue pour des cavaliers ?

— Environ cinq heures.

— Alors, en deux heures, impossible de les rattraper. Oh ! mon Dieu ! Mais y a-t-il une autre route pour vous ? et plus courte ?

— Oui, oui. – Et il tressaillait tout entier. – À travers la gorge, il y a une route qui est très courte et qui n’est guère connue.