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vous avez anéanti vous-même votre argument.

LE PRINCE. – Pourquoi donc ?

M. Z… – Mais oui. Si, selon vous, il est tout à fait indifférent à la divinité que, sous l’influence d’une passion sauvage, un robuste scélérat détruise une faible créature, alors, et d’autant plus, la divinité ne peut rien reprocher à celui d’entre nous qui, mû par la compassion, extermine le scélérat. Vous n’oserez pas soutenir cette absurdité : que le meurtre d’une faible et inoffensive créature n’est pas un mal devant Dieu, tandis que, devant Dieu, le meurtre d’une bête vigoureuse et méchante est un mal.

LE PRINCE. – Cela vous semble une absurdité parce que vous ne regardez pas où il faut. La question morale concerne, non pas celui qui est tué, mais celui qui tue. Ainsi, vous-même, vous appelez le scélérat une bête sauvage, c’est-à-dire un être sans raison et sans conscience : quel mal moral peut-il y avoir dans ses actions ?

LA DAME. – Oh ! oh ! Mais s’agit-il ici littéralement d’une bête sauvage ? C’est absolument comme si je disais à ma fille : quelles sottises tu dis, mon ange ! – et comme si, alors, l’idée vous venait de vous récrier en disant : à quoi donc pensez-vous ? Est-ce que les anges peuvent dire des sottises ? – Quelle pitoyable discussion !

LE PRINCE. – Pardon. Je comprends très bien que, par métaphore, on appelle le scélérat une bête sauvage et que cette bête n’ait point de queue ni de corne ; mais, évidemment, la déraison et l’inconscience dont nous parlons ici sont prises dans leur sens littéral. Un