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et aussi historique qui les unit. Pour cela, reprenons d’abord notre exemple, mais sans ces particularités qui semblent en fortifier et qui, au contraire, en affaiblissent la signification. Inutile de parler d’un père ni d’une fillette, puisque avec eux la question perd tout de suite son caractère purement moral. Dii domaine de la conscience rationnelle et morale, elle se trouve transportée sur le terrain des sentiments moraux naturels : irrésistiblement poussé par l’amour paternel, le père tue le scélérat sur place, sans s’être arrêté à délibérer pour savoir s’il est obligé et s’il a le droit de faire cela en vertu du principe moral suprême. Donc, considérons, non pas un père, tuais un moraliste sans enfant et qui voit une faible créature, à lui étrangère et à lui inconnue, attaquée violemment par un robuste scélérat. Est-ce que, d’après votre théorie, ce moraliste doit, les bras croisés, prononcer une exhortation à la vertu, pendant que la bête infernale déchirera sa victime ? Est-ce que, selon vous, ce moraliste ne ressentira pas une impulsion morale le portant à employer la force pour contenir le scélérat, même au risque et même avec la probabilité de le tuer ? Et si, au contraire, il laisse se consommer le forfait, en l’accompagnant de bonnes paroles, est-ce que, selon vous, la conscience de ce moraliste ne lui reprochera rien et ne le rendra pas honteux jusqu’au dégoût de lui-même ?

LE PRINCE. – Peut-être en serait-il ainsi pour un moraliste qui ne croirait pas à la réalité de l’ordre moral ou qui oublierait que Dieu n’est pas violence mais vérité.