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L’HOMME POLITIQUE. – Mais on ne demande pas aux gens de guerre de faire un tel aveu. Qu’ils se croient supérieurs aux autres, personne n’en prendra ombrage. On vient de vous expliquer que le prince de Lusignan fut laissé libre de se considérer comme le roi de Chypre, pourvu qu’il ne nous demandât pas de lui payer du vin de Chypre. Ne touchez pas à nos poches plus qu’il ne faut et soyez à vos propres yeux le sel de la terre et l’ornement de l’humanité ! Qui vous en empêche ?

LE GÉNÉRAL. – « Soyez à vos propres yeux » !….. Est-ce que nous parlons de la lune ? Est-ce dans le vide de Torricelli que vous garderez les soldats afin de les protéger contre toute influence étrangère ? Et cela à notre époque de service militaire universel, de service d’une durée restreinte, et de journaux à bon marché ! Non, la question est trop simple dès que le service militaire est devenu obligatoire pour tous et pour chacun. Dès que, dans toute la société, en commençant par les représentants de l’État, comme vous, par exemple, s’établit une nouvelle opinion opposée à la guerre, cette opinion doit, fatalement, s’emparer de l’esprit de l’armée. Si la masse du public, après l’autorité, se met à considérer le service militaire comme un mal inévitable provisoirement, alors, et en premier lieu, on ne verra plus personne choisir de plein gré et pour toute la vie la profession militaire, excepté les rebuts de la nature qui ne savent plus que devenir. Ensuite, tous ceux qui, contre leur désir, seront obligés de subir le service militaire à temps, le subiront avec les sentiments que les galériens,