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à la nature propre d’un peuple et qui résumaient toute une crise intellectuelle et morale. Mais on ne soupçonnait guère en quoi la doctrine qu’il exposait avec tant d’élévation et d’éloquence se rapportait à nos intérêts et à nos besoins.

On comprendrait mieux chez nous, maintenant. Ou plutôt, on comprendra mieux. Car l’enseignement que nous apportait ce philosophe russe est devenu la leçon qui ressort de la crise formidable où, depuis deux années, le sang français coule à flots, et où se déchire, pour se reconstituer, l’âme de la France. Nous avons vu les aberrations et les monstruosités que peut engendrer une idée nationale développée sans mesure et nourrie d’une exaltation aveugle. L’idée allemande nous a montré de quelle folie furieuse peut être dévoré un peuple obsédé par l’amour de soi-même. C’est ainsi qu’est apparue au milieu de la civilisation l’idée allemande, qui prétendait être la civilisation supérieure et totale.

Un peuple peut donc, jusqu’à l’aveuglement et jusqu’à la frénésie, se tromper sur ses droits, sur ses forces, sur sa destinée. Le patriotisme, qui, éclairé et généreux, est si beau et si noble, subit des déviations et des déformations prodi-