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littéralement, on l’interprète dans le sens allégorique ; et le reste est livré au silence et à l’oubli bien intentionnés.

LE PRINCE. – Oui, les bonnes adaptations se produisent. En vue de mes publications, j’observe notre littérature ecclésiastique. Ainsi déjà, dans deux journaux, j’ai eu le plaisir de lire que le christianisme condamne absolument la guerre.

LE GÉNÉRAL. – Allons donc ! Impossible.

LE PRINCE. – Moi-même, je n’en croyais pas mes yeux. Mais je puis faire la preuve.

L’HOMME POLITIQUE (au Général). – Vous voyez ! Pourtant, il n’y a pas là de quoi vous tourmenter. Votre affaire, c’est l’action, et non l’art de bien dire. Amour-propre professionnel et vanité, n’est-ce pas ? Cela ne vaut rien. Mais, en pratique, je le répète, les choses, pour vous, demeurent telles qu’autrefois. Quoique, après avoir pendant trente ans empêché tout le monde de respirer, le système militariste doive maintenant disparaître, la force armée subsiste jusqu’à un certain point ; et tant qu’elle sera admise, c’est-à-dire reconnue indispensable, on exigera d’elle les mêmes qualités que dans le passé.

LE GÉNÉRAL. – Mais c’est vouloir traire une vache morte. D’où viendront ces indispensables qualités militaires, puisque la première, sans laquelle aucune autre n’existe, c’est la force morale, qui repose sur la foi dans la sainteté de son œuvre ? Comment cela sera-t-il possible alors que la guerre est réputée crime et désastre, supportable seulement à la dernière extrémité ?