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tenir aux mots ? Assurément, en parlant de son "service militaire chrétien", le général avait une idée.

LE GÉNÉRAL. – Je vous rends grâces. Voici ce que je voulais et veux dire. Dans le cours des siècles et jusqu’à la date d’hier, tout homme de guerre, simple soldat ou feld-maréchal, peu importe, savait et sentait qu’il servait à une œuvre importante et bonne ; – non pas seulement utile ou nécessaire, comme est utile, par exemple, l’hygiène ou le blanchissage, mais, dans le sens le plus élevé, bonne, honorable, à laquelle toujours ont participé les meilleurs et les premiers citoyens, chefs de nations, héros. Cette œuvre, la nôtre, a toujours été consacrée et exaltée dans les églises, glorifiée par la voix publique. Or, tout à coup, un beau matin, nous apprenons qu’il nous faut oublier tout cela et que nous devons nous juger nous-mêmes, nous et notre fonction dans le monde de Dieu, d’une manière toute différente. L’œuvre que nous servions et que nous étions si fiers de servir est déclarée mauvaise et désastreuse ! Elle est maintenant reconnue incompatible avec les préceptes de Dieu et avec les sentiments humains ; c’est le mal le plus affreux, une calamité ; tous les peuples ont le devoir de s’unir contre elle ; et son abolition définitive n’est plus qu’une affaire de temps !

LE PRINCE. – Cependant, est-ce qu’il ne vous est pas déjà arrivé d’entendre des voix qui condamnent la guerre et le service militaire comme un reste du vieux cannibalisme ?

LE GÉNÉRAL. – Eh ! comment faire pour ne pas l’entendre ? Je l’ai entendu et je l’ai lu dans des langues