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en ces termes :

— Au milieu de la mer il y a les trois montagnes surnaturelles ; leurs noms sont P’ong-lai, Fang-tchang et Yng-tcheou ; les immortels y habitent. Nous demandons qu’il nous soit permis, après nous être purifiés, de partir avec de jeunes garçons et de jeunes filles à leur recherche. » Alors (l’empereur) envoya Siu Che et fit partir (avec lui) plusieurs milliers de jeunes garçons et de jeunes filles ; ils prirent la mer pour aller à la recherche des immortels[1].

  1. Dans le Traité sur les sacrifices fong et chan (Mémoires historiques, chap. XXVIII), on lit : « C’est à partir de Wei (378-343), de Siuen (342-324) et de Tchao, roi de Yen (311-279) qu’on envoya des hommes en mer à la recherche de P’ong-lai, Fang-tchang et Yng-tcheou. Ces trois montagnes saintes, on rapporte qu’elles se trouvent au milieu du P’o-hai ; elles ne sont pas éloignées des hommes, mais, par malheur, lorsqu’on est sur le point d’y arriver, alors le bateau est ramené en arrière par le vent et s’en éloigne. Autrefois, à vrai dire, des gens purent y parvenir : c’est là que se trouvent les hommes bienheureux et la drogue qui empêche de mourir ; là, tous les êtres, les oiseaux et les quadrupèdes sont blancs ; les palais et les portes y sont faits d’or jaune et d’argent ; lorsque (ces gens) n’y étaient point encore, ils les voyaient de loin comme un nuage ; quand ils y arrivèrent, les trois montagnes saintes se trouvèrent renversées sous l’eau ; quand ils en furent tout près, le vent ramena soudain leur bateau au large ; en définitive, il n’est personne qui ait pu y aborder. Il n’est aucun des souverains qui n’ait désiré s’y rendre. Puis, au temps, de Ts’in Che-hoang, lorsque celui-ci eut réuni l’empire dans sa main, il vint au bord de la mer. Alors les magiciens débitèrent des récits innombrables. Che-hoang considéra que, s’il allait lui-même en mer, il était à craindre qu’il ne réussît pas ; c’est pourquoi il ordonna à un homme de s’embarquer avec une bande d’enfants, garçons et filles, pour rechercher (ces îles). Leur bateau croisa en pleine mer ; ils s’excusèrent en alléguant le vent (contraire) et dirent qu’ils n’avaient pu atteindre (les îles), mais qu’ils les avaient vues de loin. — Dans le chapitre CXVIII des Mémoires historiques, nous trouvons un autre récit : « Ts’in Che-hoang-ti envoya Siu Fou prendre la mer et chercher les êtres merveilleux. A son retour, Siu Fou forgea une excuse et dit : — J’ai vu un grand dieu dans la mer ; il me dit : — Êtes-vous l’envoyé de l’Empereur d’Occident ? Je répondis : — Oui. — Que venez-vous chercher ? Je lui dis : — Je désire vous demander la drogue qui prolonge les années et augmente la longévité. Le dieu dit : — L’offrande de votre roi de Ts’in est mince ; vous pourrez voir cette drogue, mais non la prendre. Alors il se dirigea avec moi vers le sud-est et nous arrivâmes à la montagne P’ong-lai ; je vis la porte du palais Tche-tch’eng : il y avait là un émissaire qui était couleur du cuivre et qui avait le corps d’un dragon ; son éclât illuminait en haut le ciel. Alors je le saluai par deux fois et lui dis : — Quelle offrande puis-je vous faire ? Le dieu de la mer dit : — Donnez-moi des fils de bonne famille avec des filles vierges, ainsi que des ouvriers en tous genres. Alors vous obtiendrez la drogue. Ts’in Che-hoang fut très content ; il envoya trois mille jeunes garçons et jeunes filles ; il donna (à Siu Fou) des semences des cinq céréales et des ouvriers en tous genres ; alors (Siu Fou) se mit en route. Siu Fou trouva un lieu calme et fertile ; il s’y arrêta, s’y fit roi et ne revint pas. — Il ressort évidemment de ce second texte que l’expédition aventureuse de Siu Fou aboutit à l’établissement d’une colonie en quelque terre lointaine. Cette terre (et par conséquent les trois îles merveilleuses) a été identifiée par Klaproth (traduction de la Description du Tubet du p. Hyacinthe Bitchourin, p. 134, note) avec le Japon ; la même opinion a été soutenue récemment par M. Schlegel (T’oung pao, mars 1895, pp. 9-10). Cette identification n’a rien d’improbable ; nous appellerons cependant l’attention du lecteur sur la valeur contestable des arguments par lesquels on veut faire de cette hypothèse une certitude : on relève dans divers ouvrages historiques japonais l’affirmation que Siu Fou aborda au Japon ; on signale des chapelles élevées à la mémoire de Siu Fou en différentes parties de l’archipel ; on en conclut que la tradition japonaise corrobore et confirme la chronique chinoise. Mais nous sommes obligés de tenir compte ici d’un principe de critique que nous avons déjà dû appliquer lorsqu’il s’est agi de déterminer la valeur d’un rappprochement entre des écrivains chinois et des auteurs persans (cf. p. 6, n. 1, la discussion au sujet d’un passage de l’Historia Sinensis) : pour qu’un témoignage étranger confirme un témoignage chinois, il faut d’abord prouver qu’il n’en est pas tiré ; Or nous savons que toute l’histoire ancienne du Japon a été remaniée, ou parfois même entièrement composée au moyen des chroniques chinoises ; il est infiniment probable que l’anecdote de Siu Fou a été empruntée aux historiens du Céleste Empire par les annalistes japonais et que de leurs écrits elle a passé dans la légende populaire ; la tradition japonaise ne saurait avoir ici la valeur d’un témoignage indépendant ; elle n’est que l’écho ou la copie de la tradition chinoise.