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Germanie ? Oui, dira-t-on ; mais la conquête a dérangé tous les rapports, et la noblesse de naissance a passé du côté des conquérants. Eh bien ! Il faut la faire repasser de l’autre côté, le tiers redeviendra noble en devenant conquérant à son tour.

Que si dans l’ordre privilégié, toujours ennemi du tiers, on ne voit que ce qu’on peut y voir, les enfants de ce même tiers état, que dire de la parricide audace avec laquelle ils haïssent, ils méprisent et ils oppriment leurs frères[1]

Suivons notre objet. Il faut entendre par le tiers état l’ensemble des citoyens qui appartiennent à l’ordre commun. Tout ce qui est privilégié par la loi, de quelque manière qu’il le soit, sort de l’ordre commun, fait exception à la loi commune, et, par conséquent, n’appartient point au tiers état. Nous l’avons dit, une loi commune et une représentation commune, voilà ce qui fait une nation. Il n’est que trop vrai que l’on n’est rien en France quand on n’a pour soi que la protection de la loi commune ; si l’on ne tient pas à quelque privilège, il faut se résoudre à endurer le mépris, l’injure et les vexations de toute espèce. Pour s’empêcher d’être tout à fait écrasé, il ne reste au malheureux non-privilégié que la ressource de s’attacher par toutes sortes de bassesses à un grand ; il achète à ce seul prix la faculté de pouvoir, dans les occasions, se réclamer de quelqu’un.

Mais c’est moins dans son état civil que dans ses rapports avec la constitution, que nous avons à considérer ici l’ordre du tiers état. Voyons ce qu’il est aux États généraux.

Quels ont été ses prétendus représentants ? Des anoblis ou des privilégiés à terme. Ces faux députés n’ont pas même toujours été l’ouvrage libre de l’élection des peuples. Quelquefois aux États généraux, et presque partout dans les états provinciaux, la représentation du peuple est regardée comme un droit de certaines charges ou offices.

  1. Var. : Mais, si tout est mêlé dans les races, si le sang des Francs, qui n'en vaudrait pas mieux séparé, coule confondu avec celui des Gaulois, si les ancêtres du tiers état sont les pères de la nation entière, ne peut-on espérer de voir cesser un jour selon parricide qu'une classe s'honore de commettre journellement contre toutes les autres ? Pourquoi la raison et la justice fortes, un jour, autant que la vanité, ne presserait-elle pas les privilégiés de solliciter eux-mêmes, par un intérêt nouveau, mais plus vrai, plus social, leur réhabilitation dans l'ordre du tiers état ?