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ŒUVRES EN PROSE

Le gouvernement, que la constitution imparfaite de notre assemblée représentative avait jeté aux mains d’une poignée d’aristocrates, perfectionna le système de devancer les impôts par des emprunts, qu’avaient inventé les ministres de Guillaume III, si bien qu’enfin on créa une dette énorme.

Durant la guerre contre la République Française, on reprit ce système, de sorte qu’actuellement le seul intérêt de la dette publique se monte à plus du double de la somme qu’on puise sans compter dans le trésor public pour entretenir l’armée permanente, et la famille royale, et les pensionnés, et les gens en place.

Le résultat de cette dette est de répartir inégalement les moyens d’existence au point de saper les fondements de l’union sociale et de la vie civilisée. Elle crée une double aristocratie, au lieu d’une seule dont le poids était déjà assez lourd ; elle donne à deux fois autant de gens la liberté de vivre dans le luxe et l’oisiveté sur ce que produisent les travailleurs et les pauvres.

Et elle ne leur donne pas cela parce qu’ils sont plus sages et plus dignes que les autres, ni parce qu’ils consacrent leur loisir à faire des projets pour le bien public, ou l’emploient à ces exercices de l’intelligence et de l’imagination dont les créations sont la gloire et l’ornement d’un pays.

Ils ne sont point, comme l’ancienne aristocratie, des hommes pleins d’orgueil et d’honneur, sans peur et sans tache[1] ; non ; ce sont de pitoyables et intri-

  1. En français dans le texte.