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AVERTISSEMENT

sément à la simple lecture, par la seule-couleur du style etlk’seule physionomie de la composition. Cymbeline ressemble, en effet, par tous ses caractères, à ces autres fruits du suprême automne de son auteur, la Tempête et le Conte d’hiver, les pièces les plus rares qu’il ait produites. Cette épithète de rares, appliquée à ces pièces, a besoin d’être expliquée : donnons donc le commentaire de cette expression ; aussi bien nous fournirait-il en même temps une conclusion. Nous ne voulons pas dire par là que ces pièces sont supérieures à celles des périodes qui les ont précédées ; mais nous disons hardiment qu’elles témoignent d’un plus grand effort de génie. Shakespeare a eu des inspirations autrement grandes dans ses pièces antérieures, mais dans aucune il ne s’est montré artiste aussi accompli. Dans ces trois pièces, on voit apparaître un nouveau système dramatique que le grand poëte n’a pas eu le temps de pousser à bout, heureusement peut-être pour sa gloire. Il était arrivé à Shakespeare ce qui est arrivé à tous les grands artistes, à Michel-Ange, à Goethe, à Beethoven : à mesure qu’il vieillissait, et que son génie se débarrassait davantage de cette tyrannie des passions dont la jeunesse l’avait enveloppé, les spectacles habituels de la nature et les sentiments généraux du cœur ne lui suffisaient plus ; il se plaisait à rêver un univers nouveau, ou plutôt il se plaisait à peindre l’univers réel des couleurs de ses rêves ; il se sentait entraîné à pénétrer toujours plus avant dans les profondeurs du cœur humain pour y découvrir de plus secrets mobiles d’action, et pour surprendre de plus près les jjassions à leur source même. De là ces combinaisons si curieuses, si précieuses, si rares, de réalité et d’idéal, de fantaisie et de logique, de nature et de mensonge, qui ont pour noms le Conte d’hiver, Cymbeline, la Tempête. C’est ce qu’il est possible de concevoir de plus subtil et de plus fin, sans que la conception poétique perde trop de sa substance et s’évapore dans l’abstraction. Dans ces trois pièces nous ayons l’é-