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ce mouchoir dans le logement de Cassio et le lui laisser trouver. Des bagatelles aussi légères que l’air sont pour le jaloux des preuves aussi puissantes que les affirmations de la Sainte Écriture : cela peut amener quelque chose. Le Maure s’altère déjà sous l’influence de mon poison : les lubies-dangereuses sont par nature des poisons qui d’abord ont à peine un goût désagréable, mais qui, après avoir quelque peu agi sur le sang, brûlent comme des mines de soufre. — Je disais donc ? — Tenez, le voici qui vient ! ni le pavot, ni la mandragore [6], ni toutes les drogues soporifiques du monde, ne te rendront jamais à ce doux sommeil que tu possédais hier.

Rentre OTHELLO.

OTHELLO. — Ah ! ah ! fausse envers moi !

IAGO. — Allons, allons, général ! ne songez plus à cela.

OTHELLO. — Arrière ! va-t’en ! tu m’as étendu sur le chevalet : — je jure qu’il vaut mieux être beaucoup trompé que de le savoir un peu.

IAGO. — Qu’est-ce donc, Monseigneur ?

OTHELLO. — Quel sentiment avais-je de ses heures furtives de luxure ? Je ne voyais pas cela, je n’y pensais pas, cela ne me faisait pas souffrir : la nuit dernière, j’ai bien dormi ; j’étais joyeux et d’esprit libre ; je ne trouvais pas sur ses lèvres les baisers de Cassio. Qu’on n’apprenne pas qu’il est dérobé à celui que l’on vole, et si la chose volée ne lui manque pas, il n’est pas volé du tout.

IAGO. — Je suis désolé d’entendre cela.

OTHELLO. — J’aurais été heureux, quand bien même tout le camp, pionniers y compris [7], aurait joui de son doux corps, pourvu que je n’eusse rien su. Oh ! maintenant, adieu pour toujours à la tranquillité d’âme ! adieu au contentement ! adieu aux bataillons empanachés, et aux grandes guerres qui font de l’ambition une vertu ! Oh ! adieu, adieu au coursier hennissant, et à la trompette aiguë, et au tambour qui réveille l’ardeur de l’âme, et au fifre qui perce l’oreille [8], et aux royales bannières, et à