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facultés. Dans ses relations avec lui-même, il est singulièrement irrésolu à force de scrupules, singulièrement scrupuleux à force d’honnêteté. L’habitude de l’analyse à outrance et de l’observation intime, en éclairant sa conscience, paralyse sa volonté. Une méditation trop continue dérange l’équilibre de ses facultés et le fait incliner vers un certain scepticisme élevé et découragé qui le rend incapable de choses que le plus vulgaire des hommes mènerait à bonne fin. C’est un vrai prince ; il en a la condition essentielle, qui est d’être à son aise partout, et de savoir causer avec des soldats dans leurs casernes, ou de vulgaires fossoyeurs dans un cimetière, comme avec des courtisans dans son palais.

« Hamlet a été calomnié. Son irrésolution, sa mélancolie l’ont fait accuser de manquer d’énergie ; c’est une grosse erreur. Hamlet est un des caractères les plus mâles qu’il soit possible d’imaginer ; sa bravoure est à toute épreuve, sa loyauté ne se dément pas un instant, ses promesses sont sûres ; toutes.les qualités de l’homme viril, il les possède. Il a le courage de suivre le fantôme sans hésiter un seul instant, et avec un tel sang-froid et un calme si parfait de jugement, malgré le trouble inséparable d’une pareille aventure, qu’il commande presque à l’ombre ; « Parle « maintenant, je ne te suivrai pas plus loin. » Je tiens surtout à faire remarquer qu’Hamlet n’a rien de la sentimentalité qu’on lui accorde trop généralement ; personne ne foule mieux que lui au contraire tous les masques hypocrites de la passion. Loin d’être sentimental, il est très dur et même brutal. Il a semblé du reste prévoir que cette sotte accusation serait portée contre lui, car il fait tout son possible pour la détourner, en affectionnant une certaine vulgarité d’expression très-forte, très-poétique, mais très-peu calante et aimable : une certaine grossièreté bourrue ne lui déplaît pas. Je connais peu de scènes moins sentimentales que la scène de feinte folie où il se montre si dur pour la pauvre Ophélia : Go to a nunnery. La vio-