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Scène III.

Sous la tente de Brutus.


Entrent BRUTUS et CASSIUS.

Cassius. — Que vous m’avez fait injure, en voici la preuve : vous avez condamné et noté d’infamie Lucius Pella comme ayant reçu ici des présents des Sardes pour se laisser corrompre, et les lettres où j’intercédais pour lui, parce que je connaissais l’homme, ont été dédaignées1.

Brutus. — Vous vous êtes fait injure à vous-même en écrivant dans une telle affaire.

Cassius. — Dans un temps comme celui-ci, il n’est pas bon que le plus petit délit soit si scrupuleusement pesé.

Brutus. — Laissez-moi vous dire, Cassius, que vous-même vous êtes sévèrement condamné comme ayant une main crochue, comme vendant et conférant vos charges pour de l’or à des gens qui ne les méritent pas.

Cassius. — Moi, une main crochue ! Vous savez que vous, qui prononcez ces paroles, vous vous nommez Brutus ; sans cela, par les Dieux, ce discours serait le dernier de votre vie.

Brutus. — Le nom de Cassius honore cette corruption, aussi le châtiment cache-t-il sa tête.

Cassius. — Le châtiment !

Brutus. — Rappelez-vous mars, rappelez-vous les Ides de mars ! Est-ce que le sang du grand Jules ne coula pas pour la justice ? Quel est le scélérat qui a touché son corps, qui l’a poignardé, pour autre chose que la justice ? Comment, un de nous, un de ceux qui ont frappé le premier homme de cet univers entier, simplement parce qu’il soutenait des voleurs, nous irons maintenant souiller nos doigts de vils présents, et nous vendrons le vaste champ de nos amples honneurs pour juste autant de vile monnaie qu’on en peut serrer en