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chaque fois plus doucement qu’à la précédente ; et à chaque nouveau refus, mes honnêtes voisins applaudissaient.

Cassius. — Qui lui a offert la couronne ?

Casca. — Antoine, parbleu.

Brutus. — Raconte-nous comment les choses se sont passées, aimable Casca.

Casca. — J’aimerais autant être pendu que de vous dire comment cela s’est passé : c’était bouffonnerie pure, je n’y ai pas prêté attention. J’ai vu Marc Antoine lui offrir une couronne ; — on peut à peine dire que c’était une couronne, c’était une de ces toutes petites couronnes ; — et comme je vous le disais, il l’a repoussée une première fois, mais malgré tout, selon mon opinion, il aurait bien voulu la garder. Puis Antoine la lui a offerte encore, et il l’a encore repoussée, mais selon mon opinion, il était très-lent à en retirer ses doigts. Enfin il la lui a offerte une troisième fois, et il l’a repoussée pour la troisième fois, et chaque fois qu’il l’a refusée, la canaille s’est mise à brailler, et à claquer de ses mains gercées, et à lancer en l’air ses bonnets graisseux, et à exhaler une telle masse d’haleines puantes, parce que César refusait la couronne, que César en a été presque étouffé ; car il s’est évanoui, et il en est tombé à la renverse, et pour ma part, je n’ai pas osé rire de crainte d’entr’ouvrir mes lèvres et de recevoir ce mauvais air.

Cassius. — Mais doucement, je vous prie : comment ! Est-ce que César s’est évanoui ?

Casca. — Il est tombé sur la place du marché, rendant de l’écume par la bouche, et sans pouvoir parler.

Brutus. — C’est très-probable, il a le mal tombant.

Cassius. — Non, César ne l’a pas ; mais c’est vous, et moi, et l’honnête Casca, qui avons le mal tombant.

Casca. — Je ne sais pas ce que vous entendez par là ; mais ce dont je suis sûr, c’est que César est tombé. Si le peuple déguenillé ne l’a pas applaudi et sifflé, selon qu’il lui plaisait ou lui déplaisait, absolument comme il a coutume de faire avec les acteurs au théâtre, je veux bien n’être qu’un menteur.