Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Montégut, Hachette, 1867, tome 3.djvu/26

Cette page n’a pas encore été corrigée

ACT-E I, SCEWE IL " 19

core plus gaie ? A moins quévous- ne puissiez m’enseigner comment on oublie un père banni, vous ne devez pasm’apprendre comment on se souvient d’une grande joie. ■ ’

CÉLIA. — Cela me fait voir que tu ne m’aimes pas aussi absolument que je t’aime. Si mon oncle, ton père exilé, avait banni ton oncle, le duc mon père, pourvu que tu fusses toujours restée avec moi, je serais parvenue à dresser à mon cœur à prendre ton père pour le mien ; et c’est-ce que tu ferais, si ton affection était aussi sincère et aussi loyalement trempée que la mienne.

ROSALINDE. — C’est bon, je vais oublier la condition de ma fortune pour me réjouir de la vôtre.

CÉLIA. — Vous-savez que mon père n’a pas d’autreenfant que moi et qu’il n’est pas probable qu’il en ait d’autres ; ainsi lorsqu’il mourra, tu seras son héritière, car ce qu’il a enlevé par la force à ton pèrej je. te le rendrai —par affection. Oui, sur mon honneur, je le ferai ; et lorsqueje romprai ce serment, puissé-je être transformée en monstre ! par conséquent sois gaie, ma douce Rose, ma chère Rose.

ROSALINDE. — C’est ce que je veux faire à partir de ce moment, cousine, et je vais inventer des manières de passer le temps. Voyons, si nous devenions amoureuses, par "exemple ? qu’en pensez-vous ?

CÉLIA. ’— Oh oui ! je t’en prie, faisons cela pour nous imuser : mais n’aime aucun "homme pour tout de bon, et même pour rire ; ne t’engage pas si " avant que tu ne suisses t’en tirer à ton honneur par une simple rougeur. ROSALINDE. "— À quoi nous amuserons-nous alors ?

CÉLIA. — Asseyons-nous et raillons à son rouet la bonne*’ ménagère Fortune, afin que ses dons soient répartis désormais

plms également. ’.

ROSALINDE. — Je voudrais que cela nous fût possible, car ses bienfaits sont étonnamment mal placés et la généreuse fe-mme aveugle se trompe le plus souvent dans les dons qui’elle fait aux femmes.

CÉLIA. — C’est vrai ; car celles qu’elle fait belles, elle les