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INTRODUCTION.

parodiée par la chasse conjugale que l’énorme épouse de Dromion d’Épidaranum donne à Dromion de Syracuse, Chose remarquable ! Shakespeare, refaisant les Ménéchmes d’après Plaute, a eu ici la même inspiration que Molière, remodelant l’Amphytrion d’après Plaute. L’appétit de Douzabel pour Dromion de Syracuse est la charge de la passion d’Adriana pour Antipholus de Syracuse, exactement comme l’ardeur de Cléanthis pour Mercure est la caricature de l’amour de Jupiter pour Alcmène. L’effet comique est le même : et, détail curieux, Molière a obtenu cet effet, ainsi que Shakespeare, par une addition au personnel de la comédie latine : car Cléanthis, comme chacun sait, ne figure pas chez Plaute.

L’introduction des deux Dromions dans la comédie antique est donc conforme à la loi suprême du grand art. La Comédie des erreurs, exagérée dans son principe même, outrée magistralement jusqu’à l’incroyable, prend les proportions d’une farce idéale. Si l’amusante anxiété du spectateur est augmentée par une multiplication de méprises, l’émotion causée par la reconnaissance définitive est également agrandie. L’effet du dénoûment s’accroît en raison même des complications du nœud. Shakespeare a d’ailleurs tout fait pour exalter l’impression finale. Plaute, on le remarquera, exclut de son scenario le père et la mère des Ménéchmes, il les mentionne au prologue, et c’est tout. Le poëte anglais a exhumé ces deux figures vénérables reléguées dans l’ombre par l’auteur latin, et il a voulu que les parents consacrassent de leur présence la scène palpitante où s’embrassent enfin leurs enfants. Au moment même où les frères dépareillés se réunissent, les époux qu’un naufrage avait séparés se rejoignent. Le faisceau de tendresse, désagrégé depuis si longtemps, se reforme dans cette quadruple étreinte, La nature triomphe du hasard par la puissance de l’instinct, en même temps