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INTRODUCTION.

lui restent, son fidèle Griffith et sa chère Patience. Sa voix est si faible qu’on l’entend à peine :

— Ô Griffith, je suis malade à mourir. Mes jambes, comme des branches surchargées, fléchissent vers la terre, voulant déposer leur fardeau… Avancez un siége… Bien… Maintenant, il me semble que je suis un peu soulagée.

Hélas ! ce soulagement apparent est à peine un sursis. La malade est condamnée : elle a au cœur une affection qui ne pardonne pas. Déjà la mort l’envahit et la transfigure ; sa tête s’affaisse ; son visage s’allonge ; « elle a la pâleur et la froideur de l’argile. » Sa parole n’est plus qu’un murmure. Enfin elle succombe à cet assoupissement irrésistible qui est comme le premier sommeil de la léthargie suprême. Mais à peine a-t-elle fermé les yeux, ô stupeur ! que la lugubre réalité s’évanouit pour elle dans un rêve ineffable. La sombre voûte du manoir se déchire et laisse voir à la mourante le ciel éblouissant. Un rayon d’en haut vient se fixer sur elle et l’enveloppe dans un prodigieux halo. Des êtres aux faces angéliques, aux formes diaphanes, aux formes incandescentes, se dirigent vers elle du fond de la lumière, et lui posent sur la tête la palme du martyre. Le visage spectral de Catherine s’éclaire alors d’une joie inexprimable ; elle comprend que ses maux sont finis et qu’elle va échanger sa détresse pour une incessante béatitude ; et elle élève les mains vers les anges, comme pour répondre à leur appel et leur tendre l’âme immortelle qu’ils sont venus chercher. — Merveilleuse vision qui éclipse toutes les splendeurs terrestres de la parade de Westminster ! Combien le sacre d’Anne de Boleyn paraît chétif à côté de l’exaltation réservée à Catherine ! Que sont les dignités éphémères dont un despote dispose, comparées à l’impérissable dignité que Dieu seul peut conférer ? Près de l’auréole, qu’est-ce que