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INTRODUCTION.

— Non, pas pour toutes les richesses qui sont sous le ciel.

Et celle qui jure ainsi ses grands dieux qu’elle ne voudrait pas être reine, est toute prête à se prostituer pour un trône ! — Justement voici le lord chambellan qui entre comme pour mettre à l’épreuve cette édifiante abnégation : de la part du roi, il aborde lady Anne, la salue marquise de Pembroke, et lui offre mille livres sterling de pension. Lady Anne va-t-elle refuser ces présents, qui pour elle sont les arrhes de la grandeur suprême ? Nenni. La belle accepte le marquisat et la pension, et, après avoir remercié le roi, elle se tourne vers sa vieille confidente :

— Je vous en prie, n’en dites rien à la reine !

— Pour qui me prenez-vous ? répond l’autre.

Le portrait d’Anne de Boleyn par Shakespeare n’est qu’une silhouette esquissée à grands traits, mais tous ses traits sont antipathiques. Sa physionomie est un étrange mélange de mièvrerie et de galanterie, d’hypocrisie et d’impudeur. Ce masque scénique a le front impassible, le regard provoquant, le sourire malin et licencieux. La mère de la reine Élisabeth traverse la scène shakespearienne avec les allures d’une aventurière. Quel contraste entre elle et sa rivale ! Quel repoussoir ce profil équivoque fait à l’austère et fière figure de Catherine d’Aragon ! — Catherine d’Aragon est le type souverain de la vertu domestique. La chasteté, la fidélité, l’affection conjugale sont couronnées avec elle. Sa grandeur est faite de toutes les dignités combinées. La majesté de la matrone rehausse en elle la fierté de l’infante. Catherine d’Aragon, c’est l’épouse-reine, c’est la mère de famille drapée dans le manteau impérial, c’est la ménagère du trône.

Et cette femme, ô douleur ! cette femme qui depuis tant d’années ne vit que par son mari et pour son mari, n’ayant d’autre volonté que la sienne, d’autre caprice