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INTRODUCTION.

absorbé par une triste préoccupation. C’est qu’en effet, dès le lendemain de la fête donnée par le cardinal, de graves scrupules sont venus troubler sa conscience. Du moment que lady Anne lui est apparue, le roi s’est aperçu qu’il est marié depuis vingt ans à l’infante Catherine d’Aragon, laquelle infante a eu primitivement pour époux le prince Arthur, frère aîné du roi, mort en 1506. Or, une pareille union est-elle légitime et canonique ? Peut-on, sans sacrilége, épouser la veuve de son frère ? C’est là ce que Henry s’est demandé avec anxiété. En sa qualité de théologien, il a profondément réfléchi sur la question, et il s’est arrêté à cette conclusion sinistre qu’étant depuis vingt ans marié à sa belle-sœur, il vit depuis vingt ans en flagrant délit d’inceste. Or, cette pensée est insupportable à une âme si pieuse. Eh quoi ! depuis si longtemps, il serait coupable d’un tel crime, et il continuerait de l’être ! Non, cela n’est pas possible. Quoi qu’il lui en coûte, Henry est décidé à se séparer de Catherine : le sacrifice est pénible, mais nécessaire. Il faut voir de quel air de componction attendrie le roi confesse au cardinal-ministre la rigoureuse nécessité qui lui est imposée :

— Oh ! milord ! n’est-il pas douloureux à un honnête homme de quitter une si chère compagne de lit ? Mais la conscience, la conscience ! Oh ! c’est un endroit sensible, et il faut que je la quitte !

Ainsi Henry VIII est décidé, il veut le divorce : le divorce s’accomplira. Aucune puissance humaine ne saurait désormais faire obstacle à cette volonté omnipotente. Devant cette volonté, la justice n’est plus qu’une formalité dérisoire. Quiconque résistera à cette volonté sera brisé. La confidence faite par Henry VIII à Wolsey est déjà le bruit de l’entourage royal. On se communique mystérieusement le secret qui va être le scandale de l’Europe.