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INTRODUCTION.

sous un régime tyrannique, est, à chaque instant, retenu dans l’expression de ses idées ; telle belle parole lui est défendue, elle serait un outrage. Un sujet d’ouvrage se présente ; ce sujet est émouvant, pathétique, intéressant, généreux, fécond, séduisant ; oui, mais il est dangereux, mais il éveillera peut-être par sa nature même l’ombrageuse inquiétude du pouvoir, mais il pourrait bien envoyer coucher à la Tour ou à la Bastille le téméraire qui l’adopterait. Que faire alors ? Ou l’auteur devra renoncer à ce sujet ; ou, s’il le traite, il devra recourir à mille tempéraments de forme, à mille précautions de style ; il devra éviter telle situation, s’abstenir de tel développement, atténuer ceci, élaguer cela, substituer ce mot à cet autre, ruser à chaque instant avec son inspiration, déguiser son idée, fausser son œuvre. Qui pourra dire à quelles capitulations de conscience l’ancien régime a forcé les plus mâles talents de notre littérature ? Tartuffe aurait-il eu l’étrange dénoûment qui le termine, s’il n’avait pas fallu acheter par un compliment final la toute-puissante protection de Louis XIV ? Voltaire aurait-il pu défendre Calas s’il n’avait flagorné Louis XV ? — Après la révolution française, quand tant de droits ont été reconquis, — chose triste à dire ! — l’art n’a pas recouvré son entière franchise ; il a pu être plus indépendant, il n’a guère été plus libre. La censure, perpétuée successivement par tous les gouvernements, n’a pas cessé de surveiller et de régir le théâtre. En 93, elle n’admettait que des pièces républicaines ; sous l’empire, elle ne recevait que des pièces impérialistes ; après 1815, elle ne voulait que des pièces ultra-royalistes, et tel était l’aveuglement de son fanatisme que l’introduction d’un Bourbon sur la scène lui paraissait un attentat à la majesté du droit divin, et qu’elle prétendait faire respecter Louis XIII en interdisant Marion de Lorme. Après 1830,