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SCÈNE X.

vaux.

— Je vais annoncer à Sa Majesté — que le cardinal Beaufort est à la mort. — Une maladie grave l’a soudainement saisi : — il est haletant et hagard, il aspire l’air convulsivement, — blasphémant Dieu et maudissant les hommes sur la terre. — Tantôt, il parle comme si le spectre du duc Homphroy — était à ses côtés ; tantôt, il appelle le roi, — et, croyant lui parler, murmure à son oreiller — les secrets de son âme surchargée. — Et l’on m’envoie dire à Sa Majesté — qu’en ce moment même il l’appelle à grands cris.

la reine marguerite.

— Allez porter au roi ce triste message.

Vaux sort.

— Hélas ! qu’est-ce que ce monde ? Quelles nouvelles ! — Mais quoi ! vais-je m’affliger de ce chétif deuil d’une heure, — et oublier l’exil de Suffolk, le trésor de mon âme ? — N’est-ce pas, Suffolk ? Il faut que je me lamente sur toi seul, — et que je lutte de larmes avec les nuées du midi, — et que je pleure sur ma souffrance, comme elles sur les biens de la terre !… — Maintenant, va-t’en ; tu sais que le roi va venir ; — si l’on te trouve près de moi, tu es mort.

suffolk.

— Si je me sépare de toi, je ne puis vivre ; — et mourir sous tes yeux, ne serait-ce pas encore — m’assoupir délicieusement à tes genoux ? — Ici je pourrais exhaler mon âme dans les airs — aussi doucement, aussi paisiblement que l’enfant au berceau — mourant avec la mamelle de sa mère aux lèvres ; — mais, loin de ta vue, je serais dans une folle rage, — et je te réclamerais à grands cris pour me fermer les yeux, — pour couvrir ma bouche de tes lèvres, — en sorte que tu pusses saisir mon âme au vol, — ou l’aspirer dans ton sein — et la faire vivre ainsi dans le plus suave Élysée ! — Mourir près de toi, ce ne serait que plaisir ; —