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SCÈNE X.

la reine marguerite.

— Fi, couarde femmelette, misérable pusillanime ! — N’as-tu pas le courage de maudire tes ennemis ?

suffolk.

— La peste soit d’eux !… Mais pourquoi les maudirais-je ? — Si les malédictions tuaient comme les gémissements de la mandragore, — j’inventerais les termes les plus amèrement acerbes, — les plus furieux, les plus mordants, les plus horribles à entendre ; — et je les proférerais à travers mes dents serrées, — avec tous les signes de la haine implacable, — comme la livide Envie dans son autre immonde. — Ma langue s’embarrasserait dans l’ardeur de mes paroles ; — mes yeux étincelleraient comme le caillou battu ; mes cheveux se hérisseraient comme ceux d’un forcené ; — oui, chacun de mes muscles semblerait maudire et exécrer ; — et même alors mon cœur gonflé se briserait, — si je cessais de les maudire… Que le poison soit leur breuvage ! — le fiel, pis que le fiel, leur goûter le plus exquis ! — leur plus suave ombrage, un bois de cyprès ! — leur principal spectacle, des basilics meurtriers ! — que le plus doux attouchement leur soit aussi cuisant que la morsure d’un lézard ! — la musique, aussi effroyable que le sifflement d’un serpent ! — et que le cri sinistre du chat-huant complète le concert ! — Que toutes les sombres terreurs du ténébreux enfer…

la reine marguerite.

— Assez, cher Suffolk ; tu te mets à la torture. — Ces imprécations formidables, comme le soleil contre un miroir — ou comme un mousquet trop chargé, reculent — et tournent leur force contre toi-même.

suffolk.

— Vous me sommiez de maudire, et maintenant vous me sommez de me taire ! — Ah ! par cette terre dont, je suis banni, — je pourrais maudire toute une nuit d’hiver, — nu