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SCÈNE X.

la reine marguerite.

— Pauvre Marguerite, plus malheureuse encore !… — Eh quoi ! tu te détournes et caches ton visage ? — Je ne suis pas un lépreux infect, regarde-moi. — Eh quoi ! es-tu devenu sourd comme le serpent ? — Sois donc venimeux comme lui, et tue ta reine désolée ! — Tout ton bonheur est-il donc enfermé dans la tombe de Glocester ? — En ce cas, madame Marguerite ne fut jamais ta joie. — Fais dresser la statue du duc, et adore-la, — et fais de mon image l’enseigne d’un cabaret ! — Est-ce donc pour cela que j’ai failli naufrager sur mer, — et que deux fois j’ai été repoussée par le vent contraire — de la côte d’Angleterre vers mon pays natal ? — Juste présage ! avertissement prophétique du vent — qui semblait me dire : « Ne va pas chercher le nid d’un scorpion, — et ne mets pas le pied sur cette rive ingrate ! » — Et moi, que faisais-je alors ? je maudissais les rafales amies, — et celui qui les avait déchaînées de leurs cavernes d’airain ; — et je leur disais de souffler ver la plage bénie d’Angleterre, — ou de jeter notre carène sur quelque terrible rocher ! — Mais Éole ne voulait pas être un meurtrier. — Il te laissait à toi cet odieux office ! — La mer doucement bondissante refusait de me noyer, — sachant que tu me noierais à terre, — cruel, dans des larmes aussi amères que ses vagues ! — Les rocs crevassés s’enfonçaient dans les sables mouvants — et refusaient de me briser sur leurs flancs rudes, — pour que ton cœur de pierre, plus dur qu’eux, — pût dans ton palais faire périr Marguerite ! — Tant que je pus distinguer les falaises crayeuses, — la tempête nous repoussant de sa côte, — je me tins sur le pont au milieu de l’orage : — et quand le ciel assombri commença à dérober — à mes yeux avides la vue de ton pays, — je détachai de mon cou un précieux joyau — (c’était un cœur entouré de diamants), — et je le jetai vers la terre. La mer le reçut, — et je souhaitai alors que ton sein reçût