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APPENDICE.

et Telenor, escortés de quarante ou cinquante hommes. Ces deux frères, de la plus noble maison de ce pays, avaient été dès leur enfance élevés avec Plexirtus… Ayant appris que celui-ci s’était aventuré, avec un si faible cortége, dans un pays si plein d’esprits mal disposés pour lui, et ne sachant pas la cause de ce brusque départ, ils l’avaient suivi et enfin retrouvé dans une situation telle qu’ils devaient risquer leur vie, ou lui perdre la sienne. Ils s’exposèrent, en effet, avec une telle énergie d’âme et de corps que jamais, je puis le dire, Pyrocles et Musidorus n’avaient rencontré d’adversaires qui leur fissent répéter si bien leur plus rude leçon d’armes. Bref, ils se conduisirent de telle sorte que, s’ils ne vainquirent pas, ils ne furent pas vaincus, et que, malgré tous les efforts des princes, ils purent emmener leur maître ingrat en un lieu de sûreté… Sur ces entrefaites, le roi aveugle rentra dans la capitale de son royaume et mit la couronne sur la tête de son fils Léonatus. Puis, avec des larmes de joie et de douleur, il exposa au peuple entier sa propre faute et la vertu de son fils ; sur quoi il embrassa celui-ci, le força à accepter son hommage comme celui d’un nouveau sujet, et expira aussitôt, son cœur, brisé par l’ingratitude et l’affliction, avait été tellement dilaté par l’excès de la joie qu’il n’avait pu contenir plus longtemps ses augustes esprits.

Le nouveau roi, ayant rendu tous les honneurs au mort avec la même piété filiale qu’au vivant, alla assiéger son frère, à la fois pour venger son père et pour assurer sa propre tranquillité. Plexirtus, reconnaissant que la famine, à défaut d’autres moyens, amènerait infailliblement sa destruction, trouva qu’il valait mieux ramper humblement là où il ne pouvait marcher la tête haute. Car la nature l’avait si bien formé et l’habitude de la dissimulation l’avait si bien conformé à tous les détours de la ruse que, bien que personne n’eût dans l’âme moins de bonté