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APPENDICE.

détournant du chemin qu’il s’était frayé lui-même vers le bien-être, accourut ici pour remplir auprès de moi le généreux office dont il s’acquitte si bien pour mon inexprimable remords : car non-seulement sa générosité est le miroir de ma cruauté pour mes yeux aveugles, mais entre toutes mes peines, ce qui me peine le plus, c’est de le voir risquer désespérément sa précieuse existence pour la mienne qui n’est pas encore quitte envers l’adversité, — comme un homme qui porterait de la fange dans une urne de cristal. Car, je ne le sais que trop bien, celui qui règne à présent, quel que soit pour moi, méprisable créature, son juste dédain, saisira toutes les occasions de perdre celui dont les titres légitimes, ennoblis par le courage et par la bonté, peuvent ébranler un jour le trône d’une tyrannie toujours précaire. Et voilà pourquoi je l’ai supplié de me mener au sommet de ce rocher, avec l’intention, je dois l’avouer, de le délivrer de ma funeste compagnie. Mais lui, découvrant mon intention, se montra désobéissant à mon égard, pour la première fois de sa vie. Et maintenant. Messieurs, que vous connaissez ma véritable histoire, publiez-la, je vous prie, dans le monde entier, afin que mes coupables procédés rehaussent la gloire de sa piété filiale, — seule récompense qu’il me soit possible de décerner à un si grand mérite. Et, si cela se peut, puissé-je obtenir de vous ce que mon fils me refuse ! Car il y a plus de charité à me perdre qu’à sauver qui que ce soit ; en terminant mes jours vous mettrez fin à mon agonie, et du même coup vous sauverez cet excellent jeune homme qui autrement provoque sa propre ruine.

Cette aventure lamentable par elle-même, lamentablement racontée par le vieux prince (qui n’avait pas besoin de simuler les gestes de l’attendrissement, car son visage n’avait cessé d’en porter les marques), excita chez