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EXTRAIT DU ROMAN DE BRUT.

Commença soi à pourpenser
De ses trois filles marier ;
Se dit qu’il les marieroit
Et son raine[1] leur partiroit ;
Mais primo vouloit essayer
Laquelle d’elles l’avoit plus cher.
Le mieux du sien donner voudroit
À celle qui plus l’aimeroit.
Chacun appela sainglement[2],
Et l’aînée premièrement :
Fille, fait-il, je veux savoir
Comment tu m’aimes, dis m’en voir.
Gornorille lui a juré
Du ciel toute la déité
Mult par fut pleine de boisdie[3],
Qu’elle l’aime mieux que sa vie.
Fille, fait-il, bien m’a aimé,
Bien te sera guerdonné[4],
Car prisé as mieux ma vieillesse
Que ta vie ni ta jeunesse.
Tu en auras tel guerdon
Que tôt le plus prisé baron
Que tu en mon raine éliras,
Si je puis, à seigneur auras ;
Et ma terre te partirai[5],
La tierce part t’en livrerai.

Puis demanda à Ragaü :
Dis, fille, combien m’aimes-tu ?
Et Ragaü eut entendu
Comme sa sœur eut répondu
À qui son père tel gré savoit
De ce que si formant l’aimoit.
Gré revolt avoir ensement[6],

  1. Son raine, son royaume.
  2. Sainglement, séparément.
  3. Boisdie, tromperie.
  4. Bien te sera guerdonné, tu seras bien récompensée.
  5. Partirai, départirai.
  6. Ensement, pareillement.