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CORIOLAN ET LE ROI LEAR.

(12) « Et qu’il soit vrai que Martius fût ainsi lors affectionné, il le montra bien tantôt après évidemment par ses effets : car retourné qu’il fut en sa maison, après avoir dit adieu à sa mère et à sa femme qu’il trouva pleurantes et lamentantes à hauts cris, et les avoir un peu réconfortées et admonestées de porter patiemment son inconvénient, il s’en alla incontinent droit à la porte de la ville accompagné d’un grand nombre de patriciens qui le suivirent jusque là, et de là sans prendre chose quelconque et sans requérir personne de rien qui soit, s’en alla avec trois ou quatre de ses adhérents seulement, et fut quelques jours en ses maisons aux champs agité çà et là de divers pensements tels que sa colère les lui pouvait administrer. »

(13) « Or, y avait-il en la ville d’Antium un personnage nommé Tullus Aufidius lequel, tant pour ses biens que pour sa prouesse et pour la noblesse de sa maison, était honoré comme un roi entre les Volsques ; et savait bien Martius qu’il lui voulait plus de mal qu’à nul autre des Romains, pour ce que souventes fois ès rencontres où ils s’étaient trouvés, ils s’étaient menacés et défiés l’un l’autre, et comme deux jeunes hommes courageux qui avaient une jalousie et émulation d’honneur entre eux, avaient fait plusieurs bravades l’un à l’autre, de manière que, outre la querelle publique, ils avaient encore chargé une haine particulière l’un à l’autre. Ce néanmoins, considérant que ce Tullus était homme de grand cœur et qui désirait, plus que nul autre des Volsques, trouver quelque moyen de rendre aux Romains la pareille des maux et dommages qu’il leur avait faits, il fit un acte qui témoigne bien ce que dit un poëte ancien être véritable :

Difficile est à l’ire résister,
Car si elle a de quelque chose envie,
Elle osera hardiment l’acheter
De son sang propre au péril de sa vie.

Ainsi fit-il : car il se déguisa d’une robe et prit un accoutrement auquel il pensa qu’on ne le connaîtrait jamais