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LE ROI LEAR.

Au roi de France.

— Je ne voudrais pas faire à notre amitié l’outrage — de vous unir à ce que je hais : je vous conjure donc — de reporter votre sympathie sur un plus digne objet — qu’une misérable que la nature a presque honte — de reconnaître.

le roi de france.

Chose étrange ! — que celle qui tout à l’heure était votre plus chère affection, — le thème de vos éloges, le baume de votre vieillesse, — votre incomparable, votre préférée, ait en un clin d’œil — commis une action assez monstrueuse pour détacher d’elle — une faveur qui la couvrait de tant de replis ! Assurément, sa faute — doit être bien contre nature — et bien atroce, ou votre primitive affection pour elle — était bien blâmable : pour croire chose pareille, — il faudrait une foi que la raison — ne saurait m’inculquer sans un miracle.

cordélia, à Lear.

J’implore une grâce de Votre Majesté. — Si mon tort est de ne pas posséder le talent disert et onctueux — de dire ce que je ne pense pas, et de n’avoir que la bonne volonté — qui agit avant de parler, veuillez déclarer la vérité, sire : — ce n’est pas un crime dégradant, ni quelque autre félonie ; — ce n’est pas une action impure ni une démarche déshonorante, — qui m’a privée de votre faveur ; j’ai été disgraciée — parce qu’il me manque (et c’est là ma richesse) — un regard qui sollicite toujours, une langue — que je suis bien aise de ne pas avoir bien qu’il m’en ait coûté — la perte de votre affection.

lear.

Mieux — vaudrait pour toi n’être pas née que de m’avoir à ce point déplu.

le roi de france.

— N’est-ce que cela ? La timidité d’une nature — qui