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LES AMIS

nature. — C’est sur la nature que désormais se modèle la société : pas d’autre loi que la loi de nature ; pas d’autres peines que celles que la nature inflige. Ah ! combien ce code élémentaire est plus doux que nos codes savants ! Combien la rigueur des choses semble légère à côté de la rigueur humaine :

Souffle, souffle, vent d’hiver !
Tu n’es pas aussi malfaisant
Que l’ingratitude de l’homme.
Ta dent n’est pas si acérée,
Car tu es invisible,
Quelque rude que soit ton haleine.
Hé ! ho ! Chantons hé ! ho ! sous le houx vert.
Trop souvent l’amitié est feinte, l’amour pure folie !
Donc hé ! ho ! sous le houx,
Cette vie est la plus riante.

Ici la nature règle le plaisir comme la peine. Fi de ces distractions monstrueuses qui ont la cruauté pour raffinement ! Ici la joie est sans remords. Les seuls divertissements sont les éternels spectacles qu’offre la création. Le ciel s’est chargé de la mise en scène, et, pour varier le décor, sans cesse il refait ses aurores, il redore ses crépuscules, il allume de nouveaux astres à sa rampe étoilée.

C’est dans ces lieux privilégiés que la destinée attire Orlando et Rosalinde. Si vaste est la forêt que les deux amants se cherchent longtemps avant de se retrouver. Orlando inscrit sur tous les arbres le nom de Rosalinde ; il sculpte dans l’écorce de tous les bouleaux des sonnets à la gloire de Rosalinde ; pas un saule qui ne pleure sous son couteau l’absence de Rosalinde. À force de nommer sa maîtresse, l’amant finit par l’évoquer. Mais il ne la reconnaît pas sous son costume de fantaisie. Comment croire que ce page qui porte si gaillardement le pourpoint et le haut-de-chausses, ce Ganimède si espiè-