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LES PLAINTES D’UNE AMOUREUSE.

XXI

» Ainsi beaucoup qui n’avaient jamais touché sa main aimaient à se supposer maîtresses de son cœur. Moi-même, hélas ! qui vivais en liberté, et qui m’appartenais en toute propriété, séduite par tant d’art et de jeunesse réunis, j’ai livré mes affections à son pouvoir charmeur, et, ne gardant que la tige, lui ai donné toute ma fleur.

XXII

» Pourtant, je ne voulus, comme quelques-unes de mes pareilles, rien réclamer de lui, ni rien céder à ses désirs : obéissant aux prescriptions de l’honneur, je gardai mon honneur à une distance salutaire. L’expérience me faisait un rempart du spectacle des cœurs encore saignants qui, enchâssés dans ce bijou faux, formaient son trophée d’amour.

XXIII

» Mais, hélas ! à laquelle de nous les précédents ont-ils fait éviter le malheur prédestiné qu’elle doit subir elle-même ? Laquelle a jamais forcé l’exemple à mettre les périls passés en travers de ses désirs ? Les conseils peuvent réprimer un instant un impérieux penchant ; car souvent, quand notre passion fait rage, un avis donne, en l’émoussant, plus d’acuité à nos esprits.

XXIV

» Mais nos sens ne sont pas satisfaits d’être ainsi courbés sous l’expérience des autres et privés des jouissances