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LE VIOL DE LUCRÈCE.

arme de raison son génie longtemps caché, pour arrêter les larmes de Collatin : « Oh ! s’écrie-t-il, seigneur romain outragé, relève-toi : laisse un être insondé, qu’on prenait pour un fou, donner une leçon aujourd’hui à ta vieille expérience ! »

CCLXI

« Eh quoi ! Collatin, la douleur remédie-t-elle à la douleur ? Les blessures guérissent-elles les blessures ? les lamentations réparent-elles les actes lamentables ? Est-ce te venger que te frapper toi-même, après le crime hideux qui fait saigner ta noble femme ? Une si puérile humeur procède d’une âme faible. Ta malheureuse femme a fait la même méprise en se tuant, au lieu de tuer son ennemi.

CCLXII

» Vaillant Romain, ne plonge pas ton cœur dans cette dissolvante rosée de larmes. Mais plie le genou avec moi, et aide pour ta part à réveiller nos dieux romains par des invocations : puissent-ils permettre que les abominations, qui déshonorent Rome elle-même, soient balayées de ses nobles rues par nos bras forts !

CCLXIII

» Oui, par le Capitole que nous adorons, par ce chaste sang si outrageusement souillé, par ce beau soleil du ciel qui multiplie les richesses de la terre féconde, par tous les droits de notre patrie revendiqués dans Rome, par l’âme de la chaste Lucrèce, qui tout à l’heure se plaignait à nous de son injure, et par ce couteau sanglant, nous vengerons la mort de cette épouse loyale. »