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LE VIOL DE LUCRÈCE.

CCXXV

C’est ainsi que va et vient le cours de sa douleur, et que les moments fatiguent les moments de ses plaintes. Elle souhaite la nuit, et puis elle aspire à l’aurore, et elle trouve que l’une et l’autre tardent trop longtemps. Si accablée que soit la détresse, il est rare qu’elle dorme ; et ceux qui veillent remarquent avec quelle lenteur marche le temps.

CCXXVI

Mais Lucrèce ne s’était pas aperçue de la marche du temps tandis qu’elle contemplait ces images ; elle se laissait distraire du sentiment de sa propre douleur par la pensée des malheurs d’autrui, et oubliait ses tourments devant ces simulacres d’infortune. Nous sommes parfois soulagés, sans toutefois être jamais guéris, par l’idée que nos souffrances ont été endurées par d’autres.

CCXXVII

Cependant le zélé messager est revenu, ramenant son maître qu’escortent quelques compagnons. Collatin trouve sa Lucrèce en noirs habits de deuil, et autour de ses yeux colorés par les larmes il remarque des cercles bleus, ondoyants comme des arcs-en-ciel, humides météores qui, au milieu de sinistres éléments, présagent de nouveaux orages succédant aux orages passés.

CCXXVIII

Lui trouvant cet air désolé, le mari examine avec effarement le visage triste de Lucrèce : ses yeux, trempés de larmes, sont rouges et sanglants ; ses vives couleurs sont