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LE VIOL DE LUCRÈCE.

sur ma livrée d’opprobre ; sinon, j’abandonne une vie mourante à une vivante infamie. Triste et impuissant remède, le trésor une fois volé, que de brûler l’innocente cassette qui le contenait !

CLII

» Non, non, cher Collatin, tu ne connaîtras pas le goût falsifié de la foi violée ; je n’outragerai pas ta loyale affection jusqu’à te leurrer avec un engagement brisé. Cette greffe bâtarde n’arrivera jamais à croissance. Celui qui a pollué ta souche ne se vantera pas que tu es le père affolé de son fruit.

CLIII

» Il ne rira pas de toi dans le secret de ses pensées ; il ne se moquera pas de ton état avec ses compagnons ; du moins tu sauras que ton bien a été, non acheté ignoblement à prix d’or, mais enlevé violemment de chez toi. Quant à moi, je suis la maîtresse de ma destinée ; et je ne pardonnerai pas à ma faute forcée, que ma vie ne soit livrée en expiation à la mort.

CLIV

» Je ne t’empoisonnerai pas de ma souillure, et je n’envelopperai pas, ma faute d’excuses spécieusement forgées ; je ne colorerai pas la noirceur de mon offense, pour dissimuler la vérité sur les horreurs de cette nuit perfide. Ma bouche dira tout ; mes yeux comme les écluses d’une source des montagnes qui arrose un vallon, feront jaillir une eau pure pour laver mon impur récit. »