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LE VIOL DE LUCRÈCE.

Tarquin baisse les yeux, aveuglé qu’il est par l’excès de lumière. Est-ce cette radieuse vision qui l’offusque ? Est-ce un retour de honte ? Ses yeux sont aveuglés et se ferment.

LV

Oh ! que ne périrent-ils dans leur ténébreuse prison ! Alors ils auraient vu le terme de leur crime ; et Collatin aurait pu encore, au côté de Lucrèce, reposer en paix dans son lit resté pur ; mais il faut qu’ils s’ouvrent pour détruire cette union bénie ; et la sainte Lucrèce doit sacrifier à leur curiosité sa joie, sa vie, son bonheur en ce monde !

LVI

Sa main de lis est sous sa joue de rose, frustrant d’une légitime caresse l’oreiller qui, irrité, semble se diviser en deux et se soulever de chaque côté pour réclamer ce délicieux baiser. Entre ces deux cimes sa tête est ensevelie ; elle est là telle qu’un vertueux monument offert à l’admiration des yeux impurs et profanes.

LVII

Son autre main était hors du lit sur la couverture verte ; elle rappelait par sa parfaite blancheur une marguerite d’avril sur le gazon, et sa moiteur perlée ressemblait à la rosée du soir. Ses yeux, tels que des soucis, avaient fermé leur brillant calice et reposaient doucement sous un dais de ténèbres jusqu’à ce qu’ils pussent se rouvrir pour embellir le jour.

LVIII

Ses cheveux, tels que des fils d’or, jouaient avec son haleine. Ô chastes voluptueux ! Voluptueuse chasteté !