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LE VIOL DE LUCRÈCE.

ment balancé entre l’inquiétude et le désir. L’un le flatte doucement, l’autre lui prédit malheur ; mais l’honnête inquiétude, ensorcelée par le sombre charme de la luxure, est maintes fois obligée de battre en retraite, repoussée brutalement par le désir fiévreux.

XXVI

Il frappe doucement son épée sur un caillou, pour faire jaillir de la froide pierre une étincelle, à laquelle il allume immédiatement une torche de cire qui doit être l’étoile polaire de son lascif regard ; et il parle ainsi mentalement à la flamme : « Comme j’ai forcé le feu de ce froid caillou, il faut que je force Lucrèce à mon désir. »

XXVII

Ici, pâle de frayeur, il réfléchit aux dangers de son immonde entreprise, et songe intérieurement au malheur qui peut s’ensuivre ; puis, jetant un regard de mépris sur l’armure nue de sa luxure meurtrière, il adresse ces justes reproches à sa pensée coupable :

XXVIII

« Belle torche, éteins ta clarté et ne la prête pas pour noircir celle dont l’éclat dépasse le tien ! Mourez, pensées sacriléges, avant de salir de votre impureté ce qui est divin ! Offrez un pur encens à une châsse si pure ; et que la loyale humanité abhorre une action qui tache et souille la robe de neige de l’amour chaste.

XXIX

» Ô opprobre de la chevalerie et des armes éclatantes ! Ô sombre déshonneur du tombeau de ma famille ! Ô forfait