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SONNETS.

peut effacer d’ici votre mémoire, quand même tout mon être serait livré à l’oubli.

Votre nom tirera de mes vers l’immortalité, lors même qu’une fois disparu je devrais mourir au monde entier. La terre ne peut me fournir qu’une fosse vulgaire, tandis que vous serez enseveli à la vue de toute l’humanité.

Vous aurez pour monument mon gentil vers, que liront les yeux à venir : et les langues futures rediront votre existence, quand tous les souffles de notre génération seront éteints.

Et vous vivrez toujours (telle est la vertu de ma plume !), là où le souffle a le plus de puissance, sur la bouche même de l’humanité.

CXLIX

Quand je vois la main cruelle du temps dégrader dans le sépulcre la coûteuse parure de la vieillesse usée ; quand je vois les hautes tours rasées, et le bronze éternel sujet à la rage de la mort ;

Quand je vois l’Océan affamé empiéter sur le royaume du rivage, et la terre ferme s’étendre sur le domaine liquide, augmenté de la perte ou diminué du gain de l’autre ;

Quand je vois tous ces changements d’état, et les États eux-mêmes s’écrouler, ces ruines me font songer que le temps viendra pour emporter mon bien-aimé.

Cette pensée me met la mort dans l’âme, en la réduisant à pleurer d’avoir ce qu’elle craint tant de perdre.