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LA PATRIE.

dédaigneux de toute courtoisie et de toute urbanité, insociable, incivil, incapable des raffinements de l’amour, traitant sa femme comme sa servante, ignorant, illettré, ennemi des arts, préférant à la musique « l’aboiement de sa chienne braque Lady, » comparant la poésie à d’allure forcée d’un bidet éclopé, » aimant mieux entendre « tourner un chandelier de cuivre » que chanter « une ballade, » — mais brave comme son épée, prêt à toutes les prouesses, inaccessible à toutes les craintes, intrépide devant la mort, intrépide devant le mystère, jetant le défi de son sarcasme à l’inconnu même, — Hotspur est un héros à l’état brut. — Aucune éducation n’a dégrossi sa noblesse native. Ses instincts généreux sont restés incultes. La sauvagerie a envahi son grand cœur. L’esprit de négation le possède ; la passion de la lutte le dévore. Tout pour lui est matière à combat et à débat. S’il ne peut quereller ses ennemis, il querelle ses alliés. Quand il ne peut pas lutter, il dispute : « Je chicanerais, s’écrie-t-il, sur la neuvième partie d’un cheveu. » Sa rage épique d’opposition descend jusqu’à la taquinerie bouffonne. Le roi Henri IV ne veut pas qu’on prononce le nom du prétendant Mortimer. Eh bien ! Hotspur veut avoir « un sansonnet qui sera dressé à ne dire qu’un mot : Mortimer ! » La lutte est son élément. C’est un batailleur infatigable. « Il tue six ou sept Écossais à un déjeuner, se lave les mains et dit à sa femme : Fi de cette vie tranquille ! je n’ai pas d’occupation ! — O mon doux Harry, dit-elle, combien en as-tu tué aujourd’hui ?… — Qu’on fasse boire mon cheval rouan, s’écrie-t-il ; puis une heure après, il répond : Environ quatorze, une bagatelle ! une bagatelle ! » L’esprit qui tourmente Hotspur ne le lâche pas même la nuit. Ses songes sont des assauts. Même quand il rêve, il guerroie. « Dans ses légers sommeils, il murmure des récits de batailles, il parle de