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INTRODUCTION.

Rien de plus grandement sinistre que cette scène. Au moment de se séparer de ces joyaux splendides qui éblouissent l’univers et qui sont ici-bas les symboles de la force, de l’honneur, de la justice et de la puissance, Richard subit un inexprimable déchirement. Le sang royal qui est dans ses veines se révolte contre sa résignation. Un conflit inouï éclate entre son instinct et sa volonté. Cette âme, née pour régner, ne veut pas mourir à la royauté. Les lèvres consentent, mais le cœur proteste. Richard abdique avec désespoir. Les sanglots entrecoupent sa voix à l’instant solennel où il se dépouille, pièce à pièce, de son costume auguste : adieu le sceptre ! adieu le glaive ! adieu le globe ! adieu la couronne ! Et en se séparant de ces jouets qui le faisaient sourire dès son berceau, le tyran pleure comme un enfant. Puis sa douleur se retourne en colère sourde contre le vainqueur. Jamais paroles plus humbles ne furent proférées par une insolence plus grande. Il poursuit de son ironie ce cousin qu’il a fait roi ; il le salue de ses acclamations dérisoires, et lui lègue le pouvoir dans un sarcasme : — Qu’on me donne la couronne !… je la tiens d’un côté ; cousin, tiens-la de l’autre. Maintenant cette couronne d’or est comme un puits profond auquel deux seaux sont attachés : l’un, vide, s’agitant en l’air, l’autre, en bas, disparu et plein d’eau. Le seau d’en bas, plein de larmes, c’est moi, abreuvé de douleurs ; le seau qui monte, c’est vous !

Mais le drame n’est point fini. Le sinistre donjon de Pomfret attend le roi détrôné. « Dieu, comme dit le vieux duc d’York, a pour quelque puissant dessein acéré les cœurs des hommes,  » God bas for some strong purpose steel’d the heart of men. Richard doit subir jusqu’au bout l’expiation prédestinée. — Richard a dépossédé Bolingbroke, et pour ce fait il est dépossédé par Bolingbroke.