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LA PATRIE.

sa couronne, la ressource extrême de l’énergie virile. Scroop lui révèle la vérité dernière : le roi n’a plus d’armée. Les troupes, que commandait le duc d’York, se sont jointes à Bolingbroke, et le régent lui-même s’est rallié au proscrit. Après ce coup suprême, Richard ne résiste plus ; il s’affaisse, atterré sous l’adversité ; il ne veut plus qu’on lui parle de lutte et d’effort, ni qu’on le détourne de la « douce voix du désespoir. » Il rend son épée à la destinée.

Décidé à ne plus agir, Richard va se livrer à Bolingbroke devant le château de Flint. Cette renonciation à l’action implique une complète transformation morale. Le roi, de qui émanait toute initiative, semble n’avoir même plus de libre arbitre. Lui, qui faisait les événements, en sera désormais la victime passive. Son auguste soumission est prête à tout ce qu’exigera la fortune rebelle :

— Que faut-il que le roi fasse à présent ? Faut-il qu’il se soumette ? Le roi le fera. Faut-il qu’il soit déposé ? Le roi s’y résignera. Faut-il qu’il perde le nom de roi ? Au nom de Dieu, qu’on le lui ôte ! Je donnerai mes joyaux pour un chapelet, mon splendide palais pour un ermitage, mon éclatant appareil pour une paire de saints sculptés, et mon vaste royaume pour un petit tombeau, un tout petit tombeau, un obscur tombeau !

Ici le roi abdique plus que le pouvoir, il abdique la volonté. Il renonce à tout, à la couronne, à la liberté, au monde, à la vie. C’est plus qu’une renonciation, c’est un renoncement. Sa personne s’est transfigurée par une conversion subite. Qui reconnaîtrait dans ce langage ascétique l’impérial verbe d’hier ? Ce n’est plus un roi qui parle, c’est un anachorète. Le tyran s’est fait pénitent. Grâce à cette métamorphose, l’horreur qui s’attachait à lui va se changer en pitié. Richard va s’élever par la