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LA PATRIE.

par lesquels le droit lésé ait jamais manifesté sa souveraineté. Ce droit qui de siècle en siècle éblouit l’histoire de ses prodiges, ce droit qui doit un jour renverser sous son souffle les dynasties de Stuart et de Bourbon, se soulève aujourd’hui contre la dynastie de Plantagenet. En face de Richard, ce Jacques II du quatorzième siècle, surgit Bolingbroke, ce Guillaume d’Orange. Devant l’invisible force de la révolution succombent une à une les bastilles de la tyrannie. Les citadelles charmées abaissent leur pont-levis ; les villes se rendent enchantées. Les troupes envoyées contre la révolte sont désarmées par on ne sait quel exorcisme magique ; les milices galloises, levées par Salisbury, se débandent ; l’armée anglaise, commandée par le duc d’York, passe sans coup férir sous les ordres du rebelle. — Cependant Richard II est revenu d’Irlande et a débarqué sur la côte du pays de Galles. Le roi ne connaît encore qu’une partie de la vérité ; il sait qu’une insurrection a éclaté, mais il ignore encore quelles proportions elle a prises. D’ailleurs, il a l’aveugle infatuation de sa prérogative ; il est convaincu qu’aucune force humaine ne saurait lui arracher le sceptre. N’est-il pas l’Oint du seigneur ? L’Angleterre ne lui appartient-elle pas en vertu d’un droit divin ? Ne lui est-elle pas attachée par un lien mystique que nulle violence ne saurait rompre ? Pour le roi, cette terre n’est pas la chose insensible et inanimée que nous foulons ; c’est un être vivant, passionné et aimant qui est dévoué, par la nature même, à l’autorité monarchique. Le roi ne possède pas seulement le corps de la patrie, il en possède l’âme. C’est dans cette persuasion que Richard adjure si tendrement la terre anglaise, et qu’il la presse de prendre sa défense contre la révolte :

— Ne nourris pas les ennemis de ton souverain, ma gentille terre, et refuse tout cordial à leur appétit dévo-